A lire sur la violence chez l'enfant...

Publié le par être parent tout simplement

L'insondable énigme
Martine Fournier dans sciences Humaines.com du 08 février 2010

De quoi parle-t-on lorsqu’on évoque la violence juvénile ? D’agressivité, d’incivilités, de transgressions, de crimes ? L’amalgame est révélateur d’une sensibilité croissante à des comportements dont l’explication reste toujours énigmatique…

La violence fascine autant qu’elle angoisse. C’est peut-être même là que réside toute son ambiguïté et la difficulté à la penser, a fortiori chez les enfants et les adolescents. Ces jeunes qualifiés de « violents » sont-ils des petits criminels en puissance qui nous menacent et menacent l’ordre social ? Y a-t-il un chemin inéluctable qui conduirait certains bambins agités à la délinquance violente, du berceau à la prison ? Des hordes sauvages risquent-elles de s’attaquer aux populations d’adultes bien tranquilles ? Les jeunes seraient-ils plus violents aujourd’hui que par le passé ? Et si le spectre de la violence plane sur les sociétés contemporaines, existe-t-il des moyens de la prédire et de la prévenir ?

Sur toutes ces questions et bien d’autres que sous-tendent peurs et fantasmes, les psychologues, sociologues, anthropologues, historiens et philosophes se querellent. La violence des débats, issus de la confrontation et de la contradiction entre différentes recherches qui se veulent toutes scientifiques – tout en déniant souvent cette caractéristique au camp adverse – est même à l’image du sujet qu’elles brassent. Leurs auteurs n’échappent pas aux caractéristiques de leur objet d’étude, même lorsqu’ils tentent de le désamorcer !

En témoigne par exemple la virulente controverse qui a sévi en France à l’issue de la publication du rapport de l’Inserm sur les troubles de conduite des jeunes enfants (voir La violence des enfants... et des psys qui en parlent) ; les débats et les passes d’armes à propos de la violence scolaire (voir Peut-on mesurer objectivement la violence scolaire ? )  ; les pugilats médiatiques et autres lancers d’invectives entre les sociologues autour de la délinquance adolescente et du phénomène des bandes (voir La guerre des boutons au XXIe siècle et Délinquance : comment interpréter les chiffres ? ) ; la surenchère de publications contradictoires à propos des images violentes (voir Médias, une responsabilité contestée )

 

Mais en fait, qu’entend-on par « violence de la petite enfance », « violence scolaire », « violence adolescente », « violences urbaines » ? Que recouvrent ces vocables passés dans le langage courant et sans cesse ressassés dans les discours médiatiques et politiques ? Parle-t-on d’un bambin de maternelle qui a mordu son voisin ou de celui qui manifeste une agressivité incessante envers son entourage ? D’une bagarre de cour de récréation ou d’un collégien qui a sorti un couteau de son sac pour agresser son prof ? D’insultes ou de crachats à l’encontre d’un adulte, d’un vol de téléphone portable ou de viol organisé, d’activités maffieuses ou de guerre de bandes ?

Peut-on regrouper dans la même catégorie des manifestations enfantines d’agressivité, des incivilités et des petites transgressions de l’adolescence, avec des actes plus graves qui s’apparentent à des pratiques criminelles ? Même si, aux yeux de certains, il existerait un continuum entre ces diverses manifestations, entre la violence verbale, sexuelle, criminelle, de l’enfance à l’âge adulte, c’est plutôt un bel amalgame qui se retrouve réuni sous un terme générique.

 

Une sensibilité accrue

Historiens et anthropologues nous rappellent combien la perception de la violence peut varier selon les lieux et les époques. Ainsi Robert Muchembled, dans son Histoire de la violence (1), montre que la violence juvénile, les rixes entre bandes rivales étaient monnaie courante du Moyen Âge au XVIIIe siècle.

Réunis dans ce que l’on appelait « les royaumes de jeunesse », les jeunes garçons, dès l’âge de la puberté, se regroupaient les jours de fête et après le travail pour se livrer à des rixes entre groupes rivaux : bagarres au poignard ou à l’épée pouvant aboutir à des meurtres, viols collectifs étaient, aux yeux des autorités de l’époque, des activités banales des jeunes hommes à marier. C’est à partir du siècle des Lumières que se sont mis en place des mécanismes visant à encadrer les pulsions violentes (chez les jeunes gens notamment avec l’armée) jusqu’à ce que la violence sanguinaire entre individus, après les deux guerres mondiales du XXe siècle, devienne un tabou absolu. À l’échelon historique, donc, nous assistons à un recul spectaculaire des violences dans les sociétés occidentales. « Fait inouï depuis des siècles, l’écrasante majorité des jeunes Européens de la seconde moitié du XXe siècle n’a jamais supprimé ni blessé un être humain, d’autant que la guerre a disparu du cœur du continent », signale encore l’historien. Les accidents de la route et les suicides éliminent bien davantage d’adolescents…

 

De son côté, note le philosophe Yves Michaud, « il y a des situations de violence qui semblent presque normales pour les Irakiens ou en Afghanistan alors que pour nous, elles seraient intolérables », soulignant ainsi combien la sensibilité à ce qui est perçu comme acte violent peut être variable (2). Il est certain que dans les démocraties contemporaines, si « la violence physique est devenue résiduelle affirme encore R. Muchembled, les dernières décennies ont vu se développer une sensibilité sécuritaire, une peur collective croissante des atteintes aux personnes, dramatisée par des médias avides de sensationnel ».

 

Les sociologues spécialistes de la délinquance, tels Gérard Mauger ou Laurent Mucchielli (3), rappellent que les « Apaches » du début du XXe siècle, ou même les « blousons noirs » des années 1950 et 1960, se livraient à des pratiques autrement plus violentes que les jeunes des cités d’aujourd’hui. Et comme le montre Bertrand Rothé, le jeune Aubrac, héros de La Guerre des boutons, serait aujourd’hui passible d’emprisonnement… (voir La guerre des boutons au XXIe siècle).

 

Extension du domaine de la violence

Paradoxe de nos sociétés pacifiées, alors que la violence est à ses taux les plus bas à l’échelle du temps long, la sensibilité à la violence n’a cessé de croître, faisant qu’aujourd’hui on la traque dès la petite enfance ; la « violence scolaire » est une expression forgée depuis deux décennies qui englobe tout autant les incivilités et les manifestations d’indiscipline que des actes plus brutaux ; quant à ce que l’on nomme aujourd’hui les « violences urbaines », certains sociologues vont jusqu’à refuser l’emploi d’une sorte de mot-valise, englobant des réalités par trop diverses.

Ainsi pour le sociologue L. Mucchielli, qui ferraille sur tous les fronts contre ces usages abusifs d’une terminologie stigmatisante, propre à nourrir un discours raciste et sécuritaire dirigé contre les jeunes des banlieues majoritairement issus de l’immigration, la « violence des mineurs » n’est rien d’autre qu’une « construction sociale, médiatique et politique » (4).

 

Mais les explications d’ordre culturel sont-elles suffisantes ? Certes, tous les sociologues et de nombreux psychologues mettent en avant la responsabilité des inégalités économiques et sociales, le rôle de l’échec scolaire et de l’exclusion, des injustices, des carences éducatives et parentales, pour expliquer les phénomènes de violence. R. Muchembled voit dans la délinquance des adolescents, qui ressurgit par vagues, un « dérèglement du pacte entre les générations », lorsque l’entrée dans la vie active, notamment dans les périodes de crise économique et de chômage, devient trop difficile pour les jeunes. Et toutes les études montrent que les programmes éducatifs menés contre la violence juvénile peuvent la faire reculer.

 

Néanmoins, certains criminologues, comme en France le très controversé Alain Bauer (5), n’hésitent pas à évoquer « la dimension biologique » de la délinquance, produit de « jeunes mâles » dont le taux de testostérone dû à la puberté expliquerait les comportements violents. « L’être humain n’est pas un animal tendre », affirme de son côté Yves Michaud qui parle « d’apprivoiser la violence ».

Le psychologue canadien Richard Tremblay affirme quant à lui que « tous les enfants utilisent l’agression physique au début de leur vie ». Tout en montrant l’importance de la socialisation et de l’environnement dans la diminution des conduites violentes, «  il suffit qu’on se retrouve dans un environnement qui permet la violence, qui la sollicite, la soutient ou l’exige, et notre réflexe d’agression physique réapparaît. Les comportements d’agression sont des conduites extrêmement résilientes », ajoute-t-il.

 

Alors, l’être humain – et particulièrement les mâles - serait-il animé de pulsions prédatrices qui en feraient par nature un animal violent ? La violence est-elle une affaire d’instinct ou de culture (6) ? La voilà, la question qui sous-tend les controverses passionnées. La violence est au cœur du vieux débat nature-culture et a suscité, depuis l’Antiquité, des théories nombreuses et contradictoires .


Et même si aujourd’hui, de nombreux modèles explicatifs proposent de combiner les facteurs biologiques, psychologiques et sociaux pour prédire et faire reculer la violence, ces modèles relèvent plus du compromis et laissent souvent un parfum d’insatisfaction, d’incertitude et d’inquiétude.

La violence demeure, selon l’expression de R. Muchembled, une « insondable énigme ».

Publié dans DROIT DE REPONSE

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