Albert Jacquard et ses grandes idées autour de l'école, les enfants....

Publié le par être parent tout simplement

  au congrès OCCE de Sarlat

 

    Quelles que soient nos fonctions ici, nous sommes tous des éducateurs.
    Éduquer vient du latin et veut dire conduire un enfant hors de lui-même pour lui faire comprendre qu'il appartient à la seule espèce qui soit capable de se regarder de l’extérieur et de se construire.
    Un homme c'est quelqu'un qui se construit lui-même à partir d’un donné que lui fournit la nature mais l'homme qui sera construit est aussi différent de son patrimoine génétique initial que la statue faite par Michel Ange de Moïse est différente du bloc de marbre qu'un jour Michel Ange a mis dans son atelier.
    Les enfants sont en cours de fabrication d'eux-mêmes et cela dure toute la vie. Nous sommes dans une période où la responsabilité des éducateurs est d'autant plus grande que nous sommes au début d'un siècle car on a trop l'habitude de penser qu'un siècle dure cent ans, ce qui n'est pas vrai, étymologiquement un siècle est une longue période entre deux événements majeurs. On peut dire que le XVIIIème siècle en France a duré 75 ans, de la mort de Louis XIV à la Révolution, le XIXème a duré 125 ans, de la Révolution à la guerre de 1914, le XXème a duré 75 ans aussi, de la guerre de 1914 à la chute du mur de Berlin et nous sommes aujourd'hui en l'an VI du XXIème siècle, que sera-t-il ?

II sera ce que nous allons convaincre les enfants de le faire. Il est bon au départ de bien prendre conscience des conditions aux limites de la construction du XXIème siècle. Ces constructions c'est d'abord, bien sûr, ce que la terre nous apporte...

... « Le temps du monde fini commence », cela signifie bien que quelque chose de nouveau commence :
    Dans l'histoire des hommes, c'est le constat de la finitude de l'espace qui nous est alloué.
Nous sommes prisonniers de la petite planète Terre car il y a des limites dues, par exemple, à la vitesse de la lumière, la plus proche planète qui pourrait éventuellement ressembler à la Terre et où l’Humanité pourrait se développer est au minimum à 100 années lumière, même avec une bonne fusée faisant du 30 000 km à la seconde, cela suppose une bonne accélération, il faudrait 1000 ans pour y aller. Je crois qu'il faut, à titre d'hypothèse de démarrage, admettre que nous sommes assignés à résidence sur la planète Terre qui est toute petite, on en fait le tour en 1 h 1/2 quand on est astronaute.
    La terre était immense, pouvait être pensée illimitée, par conséquent nos ancêtres pouvaient toujours disposer d'un ailleurs, nous sommes des enfants de nomades et nous avons encore des réflexes de nomades mais c'est fini, nous n'avons plus d’ailleurs et il faut faire avec. Sur cette terre, il se trouve que nous les hommes, nous l'avons prise en charge, nous sommes la seule espèce qui la transforme.
    Cela est dit merveilleusement dans la Bible : « A toutes les espèces, croissez et multipliez, remplissez la terre et soumettez-la », notre rôle c'est de la soumettre, notre Créateur nous a délégué le pouvoir. Cette terre, au début, pouvait être vaguement façonnée et puis récemment depuis le milieu de ce siècle, nous sommes plus forts qu'elle et notre regard vis à vis des pouvoirs que nous nous donnons est en train de changer, doit changer. Ce regard, c'était jusqu'à présent « plus nous avons de pouvoirs, mieux ça vaut », toute avancée technique est un progrès humain, cela était très bien dit par le philosophe anglais Francis Bacon qui , au XVIIème siècle, a écrit : « Le but de la Science, de la Connaissance, de la Technique, c’est de réaliser tout ce qui est possible ».
Il se trouve  qu’au milieu de ce siècle, le 6 août 1945, une autre voix s’est élevée, celle d'Einstein s'écriant : « Il y a des choses qu'il vaudrait mieux ne pas faire ». Du coup, c'est notre vision complète sur notre rôle qui est changée. Voilà qu'il y a des choses qu'il faut faire, bien sûr, et d'autres qu'il ne faut pas faire. Autrement dit, il nous faut dire non, pour la première fois de l'existence de l'Humanité, à des pouvoirs que nous nous donnons.
    Ce n'est pas le rôle du Ministre ni celui du Comité d’Éthique, c'est au peuple, donc il faut un peuple capable de réfléchir aux données du problème, êtes-vous pour ou contre le clonage humain, il faut donc avoir de bons arguments. Notre pouvoir est tel que nous pouvons transformer la terre, c'est un changement radical. Cela est en train de se faire, par exemple avec l'effet de serre, avec la suppression de la couche d'ozone, les activités humaines ont une telle intensité, une telle force, qu'elles modifient les conditions même des processus naturels qui se déroulent sur la terre.
    Nous avons eu, depuis peu, une victoire merveilleuse, contre la mort des enfants. Dans la nature, les enfants « crèvent » une fois sur deux en un an, à la naissance nous faisons partie des espèces les plus dépourvus d'autonomie. Nous avons dit non et nous avons gagné, aujourd'hui cela représente un enfant sur 150, en France. Cette victoire a changé notre attitude face à l'acte qui aboutit à la mort, la procréation.
    II nous a bien fallu peu à peu tirer les conséquences, cela a pris 2 siècles chez nous, du fait que les enfants meurent de moins en moins, et qu'il faut en procréer un peu moins pour garder l'équilibre.
    Autrefois, cet équilibre était réalisé, il y avait 250 à 300 millions d'hommes sur la terre, au temps de Jésus Christ et le même nombre à peu près en l'an 1000, pendant la moitié de l'ère chrétienne équilibre basé sur le fait que l'on faisait des enfants tant qu'il voulait bien en venir. Nous avons tout changé et heureusement et par conséquent il  faut changer aussi l'attitude procréatrice, ce qui est fait chez nous. Dans 1es pays du Tiers-Monde, ils n'ont pas eu 2 siècles pour changer l'état d'esprit, ils ont eu quelques décennies et le changement ne s'est pas fait, d'où vient la fameuse explosion démographique.
    Quand je suis né, il y avait 2 milliards d'hommes, aujourd'hui il y en a 6 milliards, j'appartiens à la première génération dont l'effectif aura plus que triplé entre son arrivée et son départ.

    Si l'on arrive à persuader les populations du Tiers-Monde de diminuer leur fécondité, il y aura 10 milliards d'hommes au milieu du siècle prochain. Comment essayer de décélérer cette explosion, comment faire pour que cela n'aille pas jusqu'à 11 ou 12 milliards, il faut arriver à convaincre les pays du Tiers-Monde de diminuer leur fécondité.
    Il y a deux méthodes, la méthode chinoise qui est l'avortement obligatoire mais personne n'est pour à part les chinois qui ont été pris à la gorge, et l'autre méthode qui est l'éducation. Donc il n'y a qu'à éduquer tout le monde mais cela coûte cher, au Maroc, par exemple, 2 millions de jeunes femmes ne sont pas éduquées.
    C'est un cercle vicieux, les pays pauvres n'éduquent pas les filles et celles-ci ont des enfants comme leur mère, donc le pays est encore plus pauvre. La seule solution serait de faire payer le coût du système éducatif des pauvres par les riches, voilà un projet politique au niveau planétaire, ce serait le meilleur placement que pourraient faire les pays riches aujourd'hui.
    La question que l'on pose aussitôt, est-ce que la terre va pouvoir les nourrir ? Heureusement la réponse unanime des experts est oui. Il y a eu un magnifique rapport fait par l'ONU, sous la direction de Madame BRUNTLAND qui est Premier Ministre de Norvège aujourd'hui, paru il y a 6 ou 7 ans, et qui essayait de répondre à la question : combien la terre pourrait-elle nourrir d'hommes ? Avec les conditions actuelles, on peut en nourrir facilement 15 milliards et avec des progrès on arriverait à 30, 35 milliards.
    La vraie question n'est pas combien la terre peut-elle nourrir d'hommes, mais combien la terre peut-elle supporter d'hommes ?
    Cela dépend des habitudes des hommes, de leur façon de vivre, si ce sont des paysans qui ne demandent à la terre que leur nourriture, cela passerait bien mais si ce sont des parisiens ou des sarladais moyens qui exigent de la terre, bien sûr leur nourriture, mais aussi du pétrole, de l'énergie, des métaux précieux et des poubelles pour mettre leurs déchets, la réponse est dramatique, aussi bien de l'équipe de COUSTEAU que de plusieurs études américaines, la terre ne peut pas supporter plus qu'un milliard d'hommes dans ce cas-là et nous sommes déjà 6 milliards.

    Il y a encore deux solutions, celle que nous avons adopté sans le dire :

« tout pour moi et tout pour mes enfants »,
celle-ci est la pire donc la seule solution serait le partage. Aujourd'hui 20% des hommes consomment 80% des richesses produites, si cela continue, dans 1/2 siècle, nous serons  10% de l'humanité, nous consommerons 90% des richesses produites.
    Étrangement, ces 20% d'aujourd'hui osent essayer de résoudre certains de leurs problèmes par ce qu'ils appellent la croissance de la consommation, ils sont déjà les plus nantis, c'est incroyable et de toute façon impossible.
    Je prends un exemple qui vient d'un ancien premier ministre, que je respecte beaucoup, qui a dit récemment une sottise : «II suffirait de 4% de croissance pendant 30 ans pour résoudre le problème du chômage», admettons qu'il ait raison, il a oublié de faire une opération toute simple, c'est d'élever 1,04 à la puissance 30 cela fait presque 4. Autrement dit, pour résoudre le chômage, il faudra que nous ayons chacun, non pas une voiture, mais quatre, que nous consommions quatre fois plus de ceci ou de cela, c'est physiquement impossible. Donc la croissance est inefficace et criminelle et prendra le peu qui reste aux 80% de pauvres, et surtout elle aboutit à une pollution insupportable, par conséquent, comment se fait-il qu'à chaque fois que nous entendons le mot de « croissance », nous n'ayons pas le réflexe de ricaner ou de pleurer.
    Ce n'est pas une solution à cause de la phrase de Paul Valéry
« Le temps du monde fini commence »,
dans une terre limitée toute croissance finit par un désastre cette terre limitée, il se trouve que certains des cadeaux  qu’elle nous fait devraient nous amener a réfléchir, comme le blé, le bois, mais il y a des cadeaux que la terre ne fait qu'une fois, comme le pétrole qui a été fabriqué par la terre, on le découvre et on le brûle, c'est fou.
    Dans moins d'un siècle, quand nos petits-enfants s'apercevront qu'il n'y a plus de pétrole et que, en 2 siècles nous aurons brûlé tout ce que la terre avait préparé en quelques centaines de millions d'années, ils se diront que nous avons été fous. Ce pétrole, puisque la terre nous le donne, à qui appartient-il ? je n'ai rien contre la notion de propriété. La réponse est évidente, la terre a donné ce pétrole aux hommes. Par quelle aberration a-t-on pu imaginer que la terre avait fait ce cadeau à un émir parce qu'il était né aux environs, quand on brûle le pétrole, on en prive tous les hommes, y compris les hommes à venir.
    Autrement dit, les propriétaires du pétrole d'aujourd'hui, ce ne sont pas seulement les 6 milliards d'hommes mais tous nos petits-enfants et arrières petits-enfants. Songez à ce que nous sommes en train de faire en détruisant cette richesse, le pétrole est une substance magnifique.
    Que pourrions-nous faire en face du pétrole ? Tout simplement accepter d'en faire le patrimoine commun de l’humanité, c’est un mot qui a été inventé par l'UNESCO à propos  des richesses artistiques, la cathédrale d'Amiens n'appartient plus aux amiénois ni aux français, elle appartient aux hommes. Ce concept de patrimoine commun de l'humanité a été étendu, depuis qu'on se balade dans l'espace, aux objets qui sont dans l'espace. La lune n'appartient pas aux américains, tout ce qui est dans l'espace est le patrimoine commun de, l'humanité.  Qu'est-ce  qu'on  attend  pour  décider,  à  l'ONU,  que  toute  richesse  non renouvelable de la terre est patrimoine commun de l'humanité?
    Cela semble tellement évident, mais imaginez les conséquences, celles-ci seraient tout à fait nécessaires, demain on n'aurait plus le droit de circuler en voiture avec du pétrole, il vaudrait mieux le faire demain que dans soixante ans.
    Quelqu'un certainement de fort intelligent, directeur général de ELF-ERAP, ce qui n'est pas rien, a expliqué qu'ils avaient extrait 7% de plus de pétrole que l'année dernière et que l'année prochaine il y en aurait encore 7% de plus, il était content et personne ne lui a demandé combien de temps cela allait durer, c'était la seule question intelligente.

    Voilà, il me semble des visions autour de nous qui sont importantes. Cette planète est tellement difficile à gérer, que pour essayer de m'exercer l'intellect à ce genre de difficultés, je propose souvent à mes auditoires de faire l'exercice, non plus sur la planète terre, mais sur un petit morceau de la planète, ce petit morceau de la planète qui me tient le plus à cœur, c'est la Méditerranée.
    Je suis jurassien, français et donc européen et donc méditerranéen, vraiment dans ma tête il y a beaucoup plus de choses qui me viennent de la Méditerranée que de la Prusse ou de la Hollande, c'est la Méditerranée qui m'a fait, AKENATON, ce pharaon égyptien qui invente le dieu unique, JESUS qui invente la mort des hommes, PLATON et SOCRATE, tous ces gens-là m'ont fait.
    Qu'est-ce qu'on attend pour faire la Méditerranée, on a bien fait l'Europe et dans des conditions effroyables. Il faut des fous aujourd'hui pour faire que l'on espère, que l'on essaie de réaliser une communauté méditerranéenne.

    On suivrait le conseil de Jean MONNET, à la fin de sa vie, on ne commencerait pas par l'économie, CEE, mais par la culture et je vous propose de monter la CCM, la communauté culturelle méditerranéenne, c'est-à-dire que l'on se réveillerait, nous tous les méditerranéens, pour essayer de mettre en commun les problèmes que pose notre avenir, à très court terme, car aujourd'hui il y a 16 états, 4 d'entre eux appartiennent à l'Union européenne, ils totalisent 170 millions d'habitants qui bénéficient d'un revenu d'environ 19 000 dollars par personne, y compris la Grèce, l'Espagne.
    Les 12 autres états totalisent 230 millions d'habitants qui disposent de 1900 dollars par personne et par an, dix fois moins. Dans trente ans, il y aura toujours 170 millions de riches qui seront un peu plus riches et les 230 millions de pauvres seront devenus 350 millions de pauvres qui seront devenus un peu plus pauvres, cela ne peut pas durer longtemps. Ce qui m'a beaucoup impressionné au Maroc, c'est la présence de ces paraboles dans les villages où il n'y avait pas d'électricité.
    Il faut maintenant, tout de suite, commencer à mettre en commun des projets, si un homme politique acceptait de prendre à cœur ce projet de CCM, je crois que sa carrière y gagnerait, il faudrait qu'il écrive à tous ses collègues autour de la Méditerranée «on va se réunir et on va faire l'équivalent d'un traité de Rome, on va essayer de créer une communauté de nos problèmes, non pas pour avoir une culture commune mais la mise en commun de toutes nos interrogations».
    Voilà pourquoi j'ai lancé un vrai faux passeport de la Méditerranée, cela ne vous donne aucun droit sinon de vous sentir aussi méditerranéen que le voisin. Voilà un exemple de ce que l'on pourrait dire à nos enfants car leur environnement c'est aussi la Méditerranée qui est, avant tout, un ensemble de peuples qui se sont construits ensemble, qui ont vécu ensemble et qui doivent résoudre leurs problèmes ensemble.
    C’est pourquoi j'ai cherché un homme qui puisse symboliser cela et je l'ai trouvé en la personne de François d'ASSISE qui a dit non à la guerre, à la violence et a été le premier à être l'ami, en pleine guerre des Croisades, du chef des ennemis. C'était la 5ème Croisade, François d'ASSISE va en Orient et là-bas il tombe dans une période terrible où les troupes européennes, les Croisés, venaient de subir une défaite et se vengeaient en détruisant tout ce qu'ils voyaient et en massacrant, etc. et François d'ASSISE s'est rendu chez le Sultan sans cuirasse, sans épée et celui-ci l'a reçu pendant trois jours.
    Il lui a demandé ce qu'il désirait car la coutume était de donner un cadeau à celui qui venait en visite, François d'ASSISE lui a dit qu'il aimerait aller à Jérusalem qui était occupée par les musulmans, il a eu un sauf conduit et le seul chrétien qui a pu entrer à Jérusalem fut François d'ASSISE parce qu'il y était allé sans épée. Quelques années plus tard, François d'ASSISE est mort, le Sultan l'a appris et, probablement en souvenir de lui, il a pris une décision étrange que les historiens n'expliquent pas, il a ouvert les portes de Jérusalem aux chrétiens.
    Aujourd'hui, après tous les événements qui viennent d'avoir lieu, il faut sourire aux musulmans. Bien sûr il y a l'environnement de la terre, avec ses limites, mais il y a surtout mon environnement à moi, un homme, ce sont les hommes.
    Il faut larguer la phrase de SARTRE qui est une simple réplique dans une pièce de théâtre «L'enfer c'est les autres », en fait l'enfer c'est quand les autres ne me regardent plus.
    Il faut justifier cette affirmation et en tant que biologiste on peut la justifier, avec les tous derniers concepts proposés par la science, on peut répondre de façon nouvelle à la fameuse question de tous les temps : qu'est-ce que je suis ? je suis une âme et un corps, coupé en deux. Non, je suis un corps.
    J'ai envie de retrouver ma dignité, je suis un objet, oui, qu'est-ce que j'ai donc de particulier ? c'est une histoire étrange qui est l'aboutissement de l'histoire de l'Univers.
    Les astrophysiciens nous disent que notre Univers est sans intérêt, une bouillie homogène, peu à peu cette bouillie s'est structurée, des objets sont arrivés, faits d'éléments de plus en plus complexes, en interaction subtile les uns avec les autres, si bien que la loi centrale de l'Univers est qu'il fait du neuf en permanence. Tout s'est passé par un accroissement de complexité et, dès qu'un objet est plus complexe, il a des pouvoirs nouveaux.
    Voilà la réalité de notre Univers. Il y a eu l'apparition de l'ADN qui permet de lutter contre le temps grâce à la reproduction, puis la procréation. I1 faut lutter contre une idée du XIXème extrêmement pernicieuse et à la base de beaucoup de nos réflexes, que la sélection naturelle est là pour éliminer le raté et garder le meilleur, c'est faux. L'évolution nous montre que les grands bonds en avant ont été la victoire des ratés. Ayons, face au handicap, au ratage, le réflexe vrai de se dire : qu'est-ce qu'il m'apporte de nouveau ? Nous sommes des primates ratés qui ont eu toutes sortes de mésaventures y compris il y a un million d'années quelques mutations qui nous ont donné un cerveau trop gros.
    Cela aurait pu être la catastrophe mais ce cerveau trop gros est devenu un cerveau très gros, avec tous ses neurones, j'ai mis en place des choses nouvelles, l'interrogation sur le monde, la
compréhension  sur  le  monde  et  surtout,  avec 'mon  cerveau,  j'ai  mis  en  place  la communication, je communique des émotions, des projets, des angoisses, ce que j'ai de plus intime en moi. Je peux le dire, le transférer, créer avec l'autre une interdépendance, à partir du moment où je crée une interdépendance, je suis en train de créer un objet que la nature n'avait pas prévu, la communauté humaine.
    Une structure est complexe quand ses éléments sont en interaction. Je me bats contre la phrase atroce que l'on dit aux enfants « deux et deux font quatre », c'est faux, il faut dire deux plus deux font quatre. Le « et » est l'apparition d'autre chose.
    La communauté humaine sait faire des choses que je ne sais pas faire et parmi ces choses il y a 1a capacité à faire émerger une personne. Le biologiste que je suis essaie de comprendre comment j'ai pu apprendre à dire « je », c'est parce que l'on m'a dit « tu », autrement dit, ce que je suis, ce sont les liens que je tisse avec les autres. A partir de ce moment-là,  me  voici  avec  une  nouvelle  vision  de  l'environnement  humain,  il  y  a l'environnement de l'enfer, ces autres qui ne sont pas comme moi, qui me posent problème, qui m'ennuient et l'autre vision, justement ces autres qui, parce qu'ils ne sont pas comme moi, vont m'aider à tisser des liens qui vont me faire et à chaque fois que je refuse un lien, je me détruis, c'est pourquoi on peut dire que toute compétition est un suicide.
    Je suis les liens que je tisse, c'est ce qu'il faut dire aux enfants. Dans l'environnement humain, si douloureux parfois, dis-toi que tu es en train de tisser.
    Je peux développer un projet humain en disant aux enfants qu'il y a des données physiques, la terre petite, à ne pas détruire, il y a des données humaines qui sont les exponentiels de l'effectif et puis il y a les données de nos pouvoirs, plus ils sont grands et plus il faut les maîtriser.
    Ce changement devant nos pouvoirs nous fait dire aux enfants qu'il faut être capable de dire non, pas bêtement, avec des arguments, il faut surtout leur apprendre à échanger. Puisque ils sont les liens qu'ils tisseront, il faut savoir les tisser, c'est un regard sur l'autre qui doit être à la fois lucide et confiant.
    Le savoir n'est pas un fin en soi, il est au service d'un fin plus lointaine, cela peut être une fin de domination contre les autres, il ne faut pas que cela soit comme ça, ne sois pas un gagnant, un gagnant est un fabricant de perdants, ne sois pas un perdant non plus.
    Il faut construire une société où il n'y ait ni perdant ni gagnant, une société de l'échange. Je crois que ce changement-là ne peut être fait qu'à l'école, une école non pas de la réussite au sens de la carrière mais au sens de l'homme. Soit un homme réussi, cela veut dire quelqu'un qui ne sera pas entouré de perdants, qui ne prétendra jamais avoir gagné mais qui aura fait que l'ensemble de ceux qui l'entourent gagnent un peu plus. C'est cela l'objectif de l'éducation.
    Lorsque je serai Ministre de l’Éducation Nationale, si cela m'arrive, je mettrais sur tous les papiers à en-tête la phrase :
« II est temps de mettre la société au service de l'école et non l'école au service de la société ». Cela résout bien ce qu'il faut faire, avoir sur les enfants un regard qui leur permette de se construire, sentir qu'à chaque fois qu'on les méprise, on les détruit et par conséquent chaque fois qu'on les enferme dans une vision de réussite ou de non réussite. Ce que je voudrais faire également, c'est supprimer la date de naissance sur tous les papiers scolaires, un éducateur ne doit pas connaître l'âge mais l'état intellectuel et s'y adapter. Je prendrais aussi une mesure qui ne serait pas apprécié des syndicats des enseignants, je ferais mettre en congé sans solde pendant trois mois tous les professeurs qui auraient employé les mots don, surdoué, pas doué, en Conseil de classe et j'obligerais tous les professeurs du supérieur a passé 10% de leur temps dans les écoles primaires pour apprendre à parler français.
    Mon programme, c'est surtout le monde dans 1000 ans, ce monde-là n'aura plus de travail. Alors que fera-t-on ? On s'occupera des choses sérieuses, c'est-à-dire d'échanger et on ira à  l'école toute sa vie, alternativement comme élève et comme professeur et c'est ainsi que l'on aura un monde vivable. Comment transformer ce monde ? Par la parole ; qui a la parole ?    Essentiellement ceux qui sont écoutés par 25 enfants dans une classe. Le vrai pouvoir c'est la parole, une parole entendue. Vous venez de me donner ce pouvoir, j'ai essayé d'en faire bon usage, je sais que c'est très dangereux mais il faut tenter.

Voilà mon résumé :

une terre petite, magnifique, une humanité encore plus magnifique
qui est à construire par nous, quelle chance nous avons
.

Merci.

 

 


Publié dans THEORICIENS

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